3 milliards d’êtres humains vivent actuellement comme les autistes. Contraints et forcés de s’isoler, pour se protéger. Comme les autistes.
Tous les 2 avril, Journée Mondiale pour l’Autisme, j’écris un article en lien avec l’acupression (parce que je suis une professionnelle de l’acupression) et l’autisme (parce que je suis autiste Asperger).
Cette année je ne parlerai pas d’acupression. Le confinement dans lequel la moitié de l’Humanité est contrainte de vivre pendant cette crise du coronavirus est une expérience grandeur planétaire qui permet de comprendre dans sa chair le comportement social et comportemental des autistes (*).
Le besoin de solitude est fréquent chez les autistes. Pourtant nombre d’entre nous aimons les contacts, les humains, les activités, l’extérieur, les lieux de vie, la vie, quoi. Nous n’aimons pas particulièrement être enfermés chez nous, nous n’aimons pas particulièrement l’isolement social. Nous y sommes contraints.
Comme actuellement la moitié de l’Humanité, nous autistes sommes contraints de nous protéger du monde extérieur, en restant chez nous. Le monde extérieur est pour nous source de souffrance, dangereux, voire hostile. Nos sens exacerbés ne peuvent supporter le bruit, la foule, les odeurs, les stimuli visuels partout, toujours. Les musiques dans les magasins, les salons de coiffure, les taxis, même sur les quais de métro. Les enfants et les ados qui hurlent dans les transports en commun. La pollution, les odeurs de poubelles, de restaurants. Notre façon de comprendre les choses et de nous exprimer, que les neurotypiques ne comprennent pas toujours, nous regardant ou nous traitant comme des extra-terrestres, ou au pire comme des attardés ou des enfants. La frustration, l’humiliation, la colère, la tristesse qui en découlent. Les personnes dans les queues qui deviennent hostiles lorsque nous utilisons notre carte de priorité. Les flux de circulation mal expliqués, pas expliqués du tout qui nous laissent perdus et tétanisés devant le choix des possibles. Les voisins qui marchent avec leurs talons et n’isolent pas leur lave-linge, malgré nos demandes répétées. Les klaxons intempestifs et appuyés qui nous font sursauter et vrillent nos oreilles. Le groupe de jeunes qui allume une boombox sur la plage ou dans le parc et nous empêche de rester. La sono à fond dans les salons et les foires, qui nous oblige à écourter drastiquement notre passage. L’agent de la Poste qui s’énerve et nous parle comme à un enfant idiot parce que nous ne comprenons pas ses explications vagues. Les artisans qui profitent de notre naïveté. Ces agressions font saigner nos nerfs et notre âme et nous conduisent régulièrement à l’effondrement psycho-sensoriel.
Alors oui, nous nous isolons pour nous protéger. Nous restons chez nous, contraints et forcés. Combien de fois me suis-je inscrite à des activités, culturelles ou sportives, avec joie et enthousiasme, tellement heureuse à l’avance, et au dernier moment me suis-je désinscrite car je n’ai pas eu la force de payer le prix en termes d’agression cognitivo-sensorielle. Parce que je n’ai eu pas le courage de passer 2 heures à mon retour à me réguler pour retrouver mon calme, mon centre, ma paix.
Chers humains neurotypiques, comment vivez-vous cet isolement forcé ? Qu’est-ce que cela fait de ne pas pouvoir sortir quand on veut, de ne pas pouvoir se rencontrer au travail, au gymnase ou à l’école ? Pas de bars festifs et d’apéritifs entre amis, pas de fêtes ? Pas de sport, pas de visites d’exposition, pas de marche le long du fleuve…
Voyez-vous se développer des routines, des obsessions, des compulsions à apprendre, à vous concentrer sur des sujets particuliers, originaux, nouveaux, voire étranges ? Les réseaux sociaux pullulent de vidéos hilarantes de gens qui s’affirment chez eux. Escalader son lit superposé, planter la tente sur son balcon, jouer au ping-pong avec des poêles au-dessus d’une rangée de paquets de pâtes, apprendre à jouer la Sonate au Clair de Lune avec son iPhone, se planter en maillot de bains devant une vidéo de plage sur son PC. Ce sont des réactions humaines. Ces comportements sont considérés comme sains et drôles et passent dans les journaux télévisés. Comme nous autistes, pour supporter l’isolement nous avons besoin de routines pour structurer le temps, et pour occuper notre temps de loisirs sans sortir nous redoublons d’imagination, nous focalisons notre attention et notre énergie sur des sujets qui nous apportent du bonheur, de l’ouverture vers le monde, les autres. C’est ce qu’on appelle nos « intérêts spéciaux ». Auparavant appelés « intérêts restreints », ce qui est péjoratif et ne reflète pas la réalité. Oui nous nous plongeons complètement dans un sujet, mais nous avons une capacité hors norme à en changer. Rien de restreint ici. Nos comportements sont des réactions saines, alimentées par une imagination décalée, et ne devraient pas être étiquetées comme des dysfonctionnements de comportement social ou de développement.
Et la promiscuité forcée dans votre lieu de vie, ne vous tape-t’elle pas sur les nerfs au bout d’un moment ? Quel effet sur ceux d’entre vous qui êtes enfermés avec un membre de la famille, un.e colocataire, un.e conjoint.e que vous ne supportez plus ? Comment vivez-vous cette sociabilité obligatoire ? N’avez-vous pas un besoin impérieux d’être seul.e de temps en temps, de pouvoir profiter de moments d’isolement pour vous recentrer et vous consacrer à votre monde intérieur ? Oui, je comprends. Car c’est humain, et c’est ce que je vis comme autiste. Après trop de socialisation j’ai un besoin vital d’isolement. C’est malheureusement trop souvent pris comme du désintérêt, voire du snobisme. Non, c’est juste un besoin normal, une question d’équilibre mental, de survie.
Lorsque vous ne pouvez pas vous isoler, alors vous pétez les plombs. C’est humain. Les autistes enfants explosent et se roulent parterre, balancent leur corps, s’auto-stimulent, se font parfois du mal, par réaction. Les adultes arrivent davantage à se retenir. Mais le sourire que vous voyez sur notre visage peut cacher une détresse que vous n’imaginez pas.
Parents, amis, collègues d’une personne autiste, pensez à toutes les fois où vous l’avez forcé.e à socialiser, à sortir, à parler. Ecoutez-nous, laissez-nous gérer notre socialisation et notre besoin d’isolement. Lorsque nous disons stop j’ai besoin de rentrer/me retirer/arrêter cette conversation (téléphonique par exemple), écoutez-nous ! Ce ne sont pas des caprices, ce sont des besoins vitaux.
En-dehors du contexte de cette pandémie mondiale, nous sommes obligés de vivre et socialiser selon vos règles, et d’en payer le prix en silence. Nous sommes jugés pour notre style de vie d’ermite (comme s’est moqué un de mes voisins). La seule raison de notre recherche d’isolement est la peur de la surcharge sensorielle, émotionnelle et cognitive et des douleurs qui s’en suivent.
Si la société était plus inclusive, nous n’aurions pas autant besoin d’isolement. Si tous les magasins proposaient une plage horaire sans musique et sans bruit de caisse enregistreuse, si les gens ne nous insultaient pas dans les queues parce que nous passons en premier pour sortir le plus vite possible avant la surcharge, si les processus partout étaient simplifiés et expliqués clairement sans ambiguité, si la ponctualité était plus répandue, s’il existait une ligne téléphonique de soutien psychologique pour les autistes uniquement, comme cette ligne qui est créée en France pour tous les citoyens pour les accompagner dans leur détresse psychologique liée au confinement, si certains immeubles proposaient des services comme dans les résidences d’affaires ou pour seniors qui nous simplifieraient le quotidien, la vie serait légère pour nous comme pour vous.
Car en effet l’isolement engendre des problèmes mentaux: compensation, décompensation, dépression, addiction, pensées suicidaires. Ces phénomènes ont été trop longtemps considérés par les « experts » comme faisant partie de l’autisme. Non. Ils ne sont que les conséquences normales que tout être humain risque en étant trop souvent et trop longtemps confiné.
Vous avez maintenant la possibilité de vous mettre à notre place, de comprendre ce que nous vivons et ressentons en temps normal. Pour vous, cette épreuve se terminera dans quelques semaines. Vous savez que vous retournerez à votre vie normale. Pour nous, les difficultés recommenceront. Les rues vont se remplir à nouveau, les magasins, les quais, les administrations, les trams, les gares, les bars, les restaurants, les clubs de gym, les parcs, les musées. Tous les dangers.
L’autisme n’apporte pas que de la souffrance bien heureusement. Lorsque je suis tranquille chez moi à écrire des articles ou des livres, à gérer ma boutique en ligne et répondre à mes lecteurs et clients, je suis bien. Les expositions d’art, la musique, les fractales, la physique quantique, la bonne bouffe, les orages au bord de la mer, le sable kinétique, le cinéma esthétique, les succulentes, les conversations cœur-à-cœur, l’odeur des algues, l’eau sur ma peau, mes coloriages de mandalas me propulsent dans une extase exquise de l’esprit et des sens qui est indescriptible. Si, à la Matrix, on me proposait de choisir entre la pilule rouge tu restes autiste et la pilule bleue tu deviens neurotypique, je choisirais la pilule rouge, toujours.
Mais j’aimerais tant que cette crise sanitaire pousse la société à mieux comprendre les autistes, leurs besoins et leurs comportements. Sans jugement et sans étiquette.
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(*) Je parle ici des autistes adultes, et c’est une généralisation car nous sommes tous uniques.
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